letteratura: poesie
VII
Celle beaulté, qui embellit le Monde
Quand nasquit celle en qui mourant je vis,
A imprimé en ma lumiere ronde
Non seulement ses lineamentz vifs :
Mais tellement tient mes espritz raviz,
En admirant sa mirable merveille,
Que, presque mort, sa Deité m’esveille,
En la clarté de mes desirs funebres,
Où plus m’allume, et plus, dont m’esmerveille,
Elle m’abysme en profondes tenebres.
(Cette beauté ; naquit ; lumière ; linéaments ; esprits ravis ; admirable ; sa Déité m’éveille ; désirs funèbres ; m’émerveille ; m’abîme ; ténèbres)
2
XIII
L’œil, aultresfois ma joyeuse lumiere,
En ta beaulté fut tellement deceu,
Que, de fontaine estendu en ryviere,
Veut reparer le mal par luy conceu.
Car telle ardeur le cœur en a receu,
Que le corps vif est jà reduict en cendre :
Dont l’œil piteux fait ses ruisseaulx descendre
Pour la garder d’estre du vent ravie,
Affin que moyste aux os se puisse prendre,
Pour sembler corps, ou umbre de sa vie.
(autrefois ; lumière ; beauté ; déçu ; étendu ; rivière ; réparer ; par lui conçu ; reçu ; réduit ; ruisseaux ; être ; moite ; ombre)
3
XXIV
Quand l’œil aux champs est d’esclairs esblouy,
Lui semble nuict quelque part qu’il regarde :
Puis peu à peu de clarté resjouy,
Des soubdains feux du Ciel se contregarde.
Mais moy conduict dessoubs la sauvegarde
De ceste tienne, et unique lumière,
Qui m’offusca ma lyesse premiere
Par tes doulx rays aiguement suyviz,
Ne me pers plus en vue coustumiere.
Car seulement pour t’adorer je vis.
(d’éclairs ébloui ; nuit ; réjoui ; soudains ; moi conduit dessous ; m’offusqua ma liesse première ; tes doux rayons aigûment suivis ; coutumière)
4
XLI
Le veoir, l’ouyr, le parler, le toucher
Finoient le but de mon contentement,
Tant que le bien, qu’Amantz ont sur tout cher,
N’eust oncques lieu en notre accointement.
Que m’a valu d’aymer honnestement
En saincte amour chastement esperdu ?
Puis que m’en est le mal pour bien rendu,
Et qu’on me peult pour vice reprocher,
Qu’en bien aymant j’ay promptement perdu
La veoir, l’ouyr, luy parler, la toucher.
(voir ; ouïr ; finissaient ; Amants ; eut ; jamais ; accointance ; aimer honnêtement ; sainte ; éperdu ; peut ; aimant ; lui)
5
LXXXII
L’ardent desir du hault bien désiré,
Qui aspiroit à celle fin heureuse,
A de l’ardeur si grand feu attiré,
Que le corps vif est jà poussiere Umbreuse :
Et de ma vie, en ce poinct malheureuse
Pour vouloir toute à son bien condescendre,
Et de mon estre, ainsi reduit en cendre
Ne m’est resté, que ces deux signes cy :
L’œil larmoyant pour piteuse te rendre,
La bouche ouverte à demander mercy *.
(désir ; haut. aspirait ; cette ; déjà poussière ombreuse ; point ; être ; réduit ; signes-ci ; merci)
* Variante : La bouche helas pour te crier mercy
6
C
L’oisiveté des delicates plumes,
Lict coustumier, non point de mon repos,
Mais du travail, où mon feu tu allumes,
Souventesfois, oultre heure, et sans propos
Entre ses drapz me detient indispos,
Tant elle m’a pour son foible ennemy.
Là mon esprit son corps laisse endormy
Tout transformé en image de Mort,
Pour te monstrer, que lors homme à demy,
Vers toy suis vif, et vers moy je suis mort.
(délicates ; lit coutumier ; souvent ; outre ; draps ; détient faible ennemi ; montrer, demi ; toi ; moi)
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CXLIV
En toy je vis, où que tu sois absente :
En moy je meurs, où que je soye present.
Tant loing sois tu, toujours tu es presente :
Pour pres que soye, encores suis je absent.
Et si nature outragée se sent
De me veoir vivre en toy trop plus, qu’en moy :
Le hault povoir qui, ouvrant sans esmoy,
Infuse l’ame en ce mien corps passible,
La prevoyant sans son essence en soy,
En toy l’estend, comme en son plus possible.
(toi ; moi ; sois présent ; loin ; présente ; près ; sois, encore ; voir ; haut pouvoir ; émoi ; âme ; prévoyant ; soi)
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CLXI
Seul avec moy, elle avec sa partie :
Moy en ma peine, elle en sa molle couche.
Couvert d’ennuy je me voultre en l’Ortie,
Et elle nue entre ses bras se couche.
Ha – luy indigne – il la tient, il la touche :
Elle le souffre : et, comme moins robuste,
Viole amour par ce lyen injuste
Que droict humain, et non divin, a faict.
O saincte loy à tous, fors à moy, juste,
Tu me punys pour elle avoir meffaict.
(moi ; ennui ; je me vautre ; lui ; lien ; droit ; fait ; sainte loi ; hors, sauf ; punis ; méfait)
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CLXX
Ma Dame et moy jouantz emmy un pré
Voicy tonnoire, esclairs, nuict, et la pluye.
Parquoy soudain je fuis oultre mon gré,
Avecques moy cuidant, qu’elle s’en fuye.
Et, quand je fus au couvert, je m’appuye
Pour prendre aleine, et pour aussi la veoir.
Mais pour le temps ne se voulut movoir :
Car l’eau par tout la fuyoit çà, et là.
Lors j’apperceus les Dieux du Ciel pleuvoir
Craignantz son feu, qui tant de gentz brula.
(moi ; jouant dans ; voici tonnerre, éclairs, nuit, et la pluie ; Par quoi ; outre ; avec moi croyant ; fuie ; appuie ; haleine ; voir ; mouvoir ; partout ; fuyait ; j’aperçus ; craignant ; gens ; brûla)
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CLXXVIII
Pour estre l’air tout offusqué de nues
Ne provient point du temps caligineux :
Et veoir icy tenebres continues
N’est procedé d’Autonne bruyneux.
Mais, pour autant que tes yeux ruyneux
Ont demoly le fort de tous mes aises,
Comme au Faulxbourg les fumantes fornaises
Rendent obscurs les circonvoysins lieux,
Le feu ardent de mes si granz mesaises
Par mes souspirs obtenebre les Cieulx.
(être ; voir ici ténèbres ; procédé d’Automne bruineux ; ruineux ; démoli ; faubourgs ; fournaises ; grands mésaises ; par mes soupirs obscurcit les Cieux)
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CCVIII
Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant
En sablon d’or, et argentines eaux.
Maint fleuve gros te rend plus ravissant,
Ceinct de Citez, et bordé de Chasteaulx,
Te pratiquant par seurs, et grandz batteaulx
Pour seul te rendre en nostre Europe illustre.
Mais la vertu de ma Dame te illustre
Plus qu’aultre bien, qui te face estimer.
Enfle toy donc au parfaict de son lustre,
Car fleuve heureux plus que toy n’entre en Mer.
(Rhône fleurissant ; ceint ; châteaux ; sûrs, et grands bateaux ; notre ; autre ; toi ; parfait)
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CCXCV
Ores cornue, ores plainement ronde,
Comme on te veoit amoindrir et recroistre,
Tu vas, Errante, environnant le Monde,
Non pour cy bas aux Mortels apparoistre,
Mais pour nos faictz plus amplement congnoistre,
Soit en deffaultz, ou accomplissementz.
Aussi tu vois les doulx cherissementz
De tous Amantz, et leurs cheres estrainctes :
Tu oys aussi leurs remercyements,
Où de moy seul tu n’entens, que mes plainctes.
(maintenant ; pleinement ; voit, recroître ; ici-bas ; apparaître ; faits ; connaître ; défauts ; accomplissements ; douces tendresses ; Amants ; chères étreintes ; ouïs ; remerciements ; moi ; entends ; plaintes)
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CCCXLV
Entre ses bras, ô heureux, près du cœur
Elle te serre en grand’délicatesse :
Et me repoulse avec toute rigueur
Tirant de toy sa joye, et sa liesse,
De moy plaincts, pleurs, et mortelle tristesse
Loing du plaisir, qu’en toy elle comprent.
Mais en ses bras, alors qu’elle te prent,
Tu ne sens point sa flamme dommageable,
Qui jour, et nuict, sans la toucher, me rend
Heureusement pour elle miserable.
(grande ; repousse ; toi, joie ; moi ; plaintes ; comprend ; prend ; nuit ; misérable)
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CCCXCVI
Le laboureur de sueur tout remply
A son repos sur le soir se retire :
Le Pelerin son voyage accomply,
Retourne en paix, et vers sa maison tire.
Et toy, ô Rhosne, en fureur, en grand’ire
Tu viens courant des Alpes roidement
Vers celle là, qui t’attend froidement,
Pour en son sein tant doulx te recevoir.
Et moy, suant à ma fin grandement,
Ne puis ne paix, ne repos d’elle avoir.
(rempli ; pèlerin ; accompli ; toi ; Rhône ; grande ; doux ; moi ; ni)
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L. I
(v. 1-22, 75-82, 103-32, 147-54, 170-76, 187-208, 231-38)
Dieu, qui trine en un fus, triple es, et trois seras,
Et, comme tes Eleus nous eterniseras,
De ton divin Esprit enflamme mon courage
Pour descrire ton Homme, et louër ton ouvrage,
Ouvrage vrayement Chef d’œuvre de ta main :
A ton image fait et divin, et humain.
Premier en son Rien clos se celoit en son Tout,
Commencement de soy sans principe, et sans bout,
Inconnu, fort à soy connoissant toute chose,
Comme toute de soy, par soy, en soy enclose :
Masse de Deïté en soymesme amassee,
Sans lieu, et sans espace en terme compassee,
Qui ailleurs ne se peut, qu’en son propre tenir
Sans aucun tems prescrit, passé, ou avenir,
Le present, seulement continuant, present
Son estre de jeunesse, et de vieillesse exent :
Essence pleine en soy d’infinité latente,
Qui seule en soy se plait, et seule se contente
Non agente, impassible, immuable, invisible
Dans son Eternité, comme incomprehensible,
Et qui de soy en soy estant sa jouïssance
Consistoit en Bonté, Sapience, et Puissance.
[…]
Nature embesongnee en œuvre non connue
Commença de vestir la terre toute nue
D’herbes, plantes, buissons incultement produits,
D’arbres luxuriants en fleurs, feuilles, et fruits,
Selon l’infuse humeur de leur seve, et leur graine,
Dont jà humide estoit ensemencee, et pleine,
Le Soleil par le ciel se mouvant sans sejour
Ayant jà revolu une nuict, et un jour.
[…]
Parquoy le grand Ouvrier de tout ce grand pourpris
Reduire le voulant en un seul poinct compris
Ià par mille, et mille ans en sa divine Idee
De sa grande Bonté, et Puissance guidee
Prevu, preordonné, aussi predestiné
En ce Paradis bas estre un tems confiné
Pour y multiplier infinité de Mondes
Monstrans l’immensité de ses vertus profondes :
D’argile molle, et tendre, à l’œuvre obeïssante
Composa une masse, et de main toutpuissante
L’ébauchant presque en rond sur la terre estendue
D’un bout, et des deux flancs en branches l’a fendue
Distincte de rameaux et noueux, et flechibles
Pour aptes instruments à tous labeurs possibles.
Sus l’autre plus croisé une part disposee
Avec plus d’industrie en boule fut posee
Vers le plus elevé trop mieux elabouree,
Du costé touchant terre informe demouree :
Teste en pié racineux, et maint endroit persé,
Qui devoit soustenir cest arbre renversé
Tiré des cieux cy bas à la forme, et figure
De celuy, qui viendrait reparer son injure.
Puis tout en un instant ce Modelle si beau
Fut solidé en os vestus de chair, et peau :
Forme qui tant luy plùt, et tant il eut en grace
Que de son saint Esprit luy soufla en la face
Une alaine de vie, une ame vegetante
Croissant de sensitive en ratiocinante,
Qui firent ce corps vif bouger, mouvoir, courir,
Et apte en tout, par tout, et de tout discourir.
[…]
Ce Microcosme vif en sa pure innocence,
Pure simplicité, sans art, et sans science,
Sans parole formee en langue à bien parler,
Et sans ouïe voix resonante par l’air,
Ne sachant que son Dieu, qui en Dieu le forma,
En langage de Dieu tous ces brutaux nomma
Selon le propre nom de leur propre nature,
Tout encor ignorans le goust de la pasture.
[…]
[…] de son costé fendu,
Et le corps assoupi, peu à peu se haussant
Une teste formee, et en sfere croissant
Couverte d’or filé, mais déliément blond
Espars, et ondoyant dessus maint membre rond
Col, espaules, et bras, gorge blanche avancee
Couvrant en son secret la pudique pensee
[…].
[…]
Forme elegante, et propre, au Dormant tressemblable,
Mais qu’au reveil il vit à l’œil plus agreable,
Bien que tout sommeillant l’une et l’autre lumiere
Esblouïe encor eust de ceste mort premiere
Luy annonçant cy bas travail continuel,
Mais par elle là sus repos perpetuel.
Si connut il en elle et sa chair, et son os,
Son costé luy restant sans cicatrice clos.
Tout intentif l’admire, et mesmement s’arreste,
Le corps jà tout lustré, sur celle riche teste,
Ou la beauté au vif est depeinte en la face
De Lys, et Roses teinte embelissant l’espace
Des jouës, et menton sous haut, et large front,
Sacraire de l’honneur à tout intellect pront
De raiz dorés orné reluisans à l’envi
De deufx lampegeans, dans lesquels tout ravi
Il se mire, et se voit en son naïf miroir,
Qui luy fait tel, qu’il est, vivement apparoir.
Et n’estoit que le bas de sa face velue
Choisissoit jaunissant en laine crespelue,
Se voyant dans iceux croiroit qu’il seroit elle,
Qui de bien loin estoit plus mignardement belle.
[…]
Dont de pareille image, et d’une mesme chair
Toute se plaist en luy, et sur tout le tient cher,
Et l’ayme, et prise en soy, non qu’il luy semble beau,
Et moins qu’attainte soit de ce lascif flambeau,
Ne d’autre affeccion, que d’ardeur mutuelle
Du fort instinct poussé de vertu naturelle.
Ensemble s’entr’aymant ignorans ne savoyent
Par qui, à qui, pourquoy, et comment ils vivoient
[…].
16
L. I
(v. 515-32, 907-14)
[…]
Que sa femme se sent le ventre, et flancs hausser
S’esbahissant en soy, et ne sait que penser
Si n’a elle nombré pour la sixieme corne,
Que de cœur affoiblie, et de face plus morne,
Ne sente une autre vie en son corps se loger,
Et de coups heurtoyans des deux costés bouger :
De sorte qu’achevant le neufieme croissant
D’espraintes, et douleur jusqu’à mort l’angoissant
Se plaint, pleure, et gemit, Nature, et son mari
Celle pour Sagefemme, et cestui tout marri
Luy aydans partroublés : et elle se console
En Dieu, se souvenant de sa juste parole.
Reprend esprit, et cœur, et s’efforce toute, et lors
Pousse sa vive charge en l’enfantant dehors.
Et une Creature à eux semblable voit,
Se r’avive de joye : et lors Adam, qui l’oit
Ià pleurer sa misere, a senti sa douleur
Se reconnoissant pere, et proche à son malheur.
[…]
Tantost te sentiras le long du dos glisser
Une frisson tremblante, et de froid herisser
L’eschine (croiras tu), le cœur, et poux te battre,
La chaleur naturelle à l’accident combattre,
Et les extrémités peu à peu refroidir,
Tes bras estendre au long, tes nerfs froids enroidir,
Et tout ton corps saisi de rigueur trembloter,
Tant que tes dents orras, maugré toy, craqueter.
17
L. III
(v. 989-1003)
Nostre vie par mort sur terre finissant,
Nostre mort par la sienne à luy nous unissant,
A luy, qui, se monstrant la voye, et verité,
Et la vie eternelle à ceste humanité,
Commencement, et fin principiant son bout,
Son Rien, son Microcosme, unira à son Tout.
Icy Adam cloant sa bouche profetique
Se r’asseure, esperant en son saint pronostique :
Et de son bien certain oubliant sa tristesse,
Eve tourna ses pleurs en larmes de liesse
Louans celuy, qui fut, qui est, et qui sera,
Et, comme ses Eleus, nous eternisera.
Universelle paix appaisoit l’univers
L’An que ce Microcosme en trois livres divers
Fut ainsi mal tracé de trois mille, et trois vers.
18
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son aage !
Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminee : et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup d’avantage ?
Plus me plaist le sejour qu’ont basty mes ayeux,
Que des palais Romains le front audacieux :
Plus que le marbre dur me plaist l’ardoise fine,
Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur Angevine.
19
Comme le champ semé en verdure foisonne,
De verdure se haulse en tuyau verdissant,
Du tuyau se herisse en epic florissant,
D’epic jaunit en grain, que le chaud assaisonne :
Et comme en la saison le rustique moissonne
Les ondoyans cheveux du sillon blondissant,
Les met d’ordre en javelle, et du blé jaunissant
Sur le champ despouillé mille gerbes façonne :
Ainsi de peu à peu creut l’empire Romain,
Tant qu’il fut despouillé par la Barbare main,
Qui ne laissa de luy que ces marques antiques,
Que chacun va pillant : comme on voit le gleneur
Cheminant pas à pas recueillir les reliques
De ce qui va tombant apres le moissonneur.
20
Sur la croppe d’un mont je vis une Fabrique
De cent brasses de hault : cent columnes d’un rond
Toutes de diamant ornoient le brave front :
Et la façon de l’œuvre estoit à la Dorique.
La muraille n’estoit de marbre ny de brique,
Mais d’un luisant crystal, qui du sommet au fond
Elançoit mille raiz de son ventre profond
Sur cent degrez dorez du plus fin or d’Afrique.
D’or estoit le lambriz, et le sommet encor
Reluisoit escaillé de grandes lames d’or :
Le pavé fut de jaspes, et d’esmeraude fine.
O vanité du monde ! un soudain tremblement
Faisant crouler du mont la plus basse racine,
Renversa ce beau lieu depuis le fondement.
21
Ayant tant de malheurs gemy profondement,
Je vis une Cité quasi semblable à celle
Que vid le messager de la bonne nouvelle,
Mais basty sur le sable estoit son fondement.
Il sembloit que son chef touchast au firmament,
Et sa forme n’estoit moins superbe que belle :
Digne, s’il en fut onc, digne d’estre immortelle,
Si rien dessous le ciel se fondoit fermement.
J’estois emerveillé de voir si bel ouvrage,
Quand du costé du Nort vint le cruel orage,
Qui souflant la fureur de son cœur despité
Sur tout ce qui s’oppose encontre sa venüe,
Renversa sur le champ, d’une poudreuse nüe,
Les foibles fondements de la grande Cité.
22
Je veux lire en trois jours l’Iliade d’Homere,
Et pour-ce, Corydon, ferme bien l’huis sur moy :
Si rien me vient troubler, je t’asseure ma foy
Tu sentiras combien pesante est ma colere.
Je ne veux seulement que notre chambriere
Vienne faire mon lit, ton compagnon, ny toy ;
Je veux trois jours entiers demeurer à requoy,
Pour follastrer apres une sepmaine entiere.
Mais si quelqu’un venoit de la part de Cassandre,
Ouvre luy tost la porte, et ne le fais attendre ;
Soudain entre en ma chambre, et me vien acoustrer :
Je veux tant seulement à luy seul me monstrer ;
Au reste, si un Dieu vouloit pour moy descendre
Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer.
23
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit declose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las las ses beautez laissé cheoir !
ô vrayment marastre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
24
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.
25
Comme on voit sur la branche, au mois de May la rose
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au poinct du jour l’arrose :
La grace dans sa feuille, et l’amour se repose,
Enbasmant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais batue ou de pluye, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt fueille à fueille déclose .
Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t’a tuee, et cendre tu reposes.
Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.
26
Je n’ay plus que les os, un Squelette je semble,
Decharné, denervé, demusclé, depoulpé,
Que le trait de la Mort sans pardon a frappé,
Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son filz, deux grans maistres ensemble,
Ne me sçauroient guerir, leur mestier m’a trompé,
Adieu, plaisant soleil, mon œil est estoupé,
Mon corps s’en va descendre où tout se desassemble.
Quel amy me voyant en ce point despouillé
Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,
Me consolant au lict et me baisant la face,
En essuiant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu, chers compaignons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vay le premier vous preparer la place.
27
Mais si faut-il mourir, et la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les Soleils haleront ces journalieres fleurs,
Et le temps crevera ceste ampoule venteuse,
Ce beau flambeau, qui lance une flamme fumeuse,
Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs,
L’huyle de ce Tableau ternira ses couleurs
Et ces flots se rompront à la rive escumeuse.
J’ay veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Où d’une, ou d’autre part, esclattera l’orage.
J’ay veu fondre la neige, et ses torrents tarir,
Ces lyons rugissans je les ay veus sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.
28
Ha! que j’en voy bien peu songer à ceste mort,
Et si chacun la cerche aux dangers de la guerre,
Tantost dessus la mer, tantost dessus la Terre,
Mais las ! dans son oubly tout le monde s’endort.
De la Mer on s’attend à ressurgir au Port,
Sur la Terre aux effrois dont l’ennemy s’atterre :
Bref chacun pense à vivre, et ce vaisseau de verre
S’estime estre un rocher bien solide, et bien fort.
Je voy ces vermisseaux bastir dedans leurs plaines,
Les monts de leurs desseins, dont les cimes hautaines
Semblent presque esgaler leurs cœurs ambitieux.
Geants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre ?
Vous les ammoncelez ? Vous les verrez dissouldre :
Ils montent de la Terre ? Ils tomberont des Cieux.
29
Mais si mon foible corps, qui comme l’eau s’escoule,
Et s’affermit encor plus long temps qu’un plus fort,
S’avance à tous moments vers le sueil de la mort,
Et que mal dessus mal dans le tombeau me roule,
Pourquoy tiendray-je roide à ce vent qui saboule
Le Sablon de mes jours d’un invincible effort ?
Faut-il pas resveiller ceste Ame qui s’endort,
De peur qu’avec le corps la Tempeste la foule ?
Laisse dormir ce corps, mon Ame, et quant à toy
Veille, veille, et te tien alerte à tout effroy,
Garde que ce Larron ne te trouve endormie :
Le point de sa venuë est pour nous incertain,
Mais, mon Ame, il suffist que cest autheur de vie
Nous cache bien son temps, mais non pas son dessein.
30
Delivre moy, Seigneur, de ceste mer profonde
Où je vogue incertain, tire moy dans ton port :
Environne mon cueur de ton rampart plus fort,
Et vien me deffendant des soldats de ce monde :
Envoy’moy ton esprit pour y faire la ronde,
A fin qu’en pleine nuict on ne me face tort,
Autrement, Seigneur Dieu, je voy, je voy la mort
Qui me tire vaincu sur l’oubli de son onde.
Les soldats ennemis qui me donnent l’assault,
Et qui de mon rampart sont montez au plus hault,
Ce sont les argumens de mon insuffisance :
La cause du debat, c’est que trop follement
J’ay voulu compasser en mon entendement
Ton estre, ta grandeur, et ta Toute-Puissance.
31
Tout s’enfle contre moy, tout m’assaut, tout me tente
Et le Monde, et la chair, et l’Ange revolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé
Et m’abysme, Seigneur, et m’esbranle, et m’enchante,
Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
San peril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras-tu ? Ton Temple où vit ta Saincteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante.
Et quoy ? mon Dieu, je sens combattre maintesfois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cest Ange revolté, ceste chair, et ce Monde.
Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l’appuy, l’oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cest effort, où se rompra ceste onde.
32
L. IV
Les Feux
(v. 1-30, 1389-1402)
Voici marcher de rang par la porte doree,
L’enseigne d’Israel dans le ciel arboree,
Les vainqueurs de Sion, qui au prix de leur sang
Portans l’escharpe blanche ont pris le caillou blanc :
Ouvre, Jerusalem, tes magnifiques portes ;
Le lion de Juda suivi de ses cohortes
Veut regner, triompher et planter dedans toy
L’estendart glorieux, l’auriflam de la foy.
Valeureux chevaliers, non de la Table ronde,
Mais qui estes, devant les fondemens du monde,
Au roolle des esleus, allez, suivez de rang
Le fidelle, le vray, monté d’un cheval blanc.
Le paradis est prest, les Anges sont vos guides ;
Les feux qui vous brusloyent vous ont rendus candides ;
Tesmoins de l’Eternel, de gloire soyez ceints,
Vestus de crespe net, la justice des Saincts,
De ceux qui à Satan la bataille ont livree,
Robe de nopce ou bien casaque de livree.
Condui mon œuvre, ô Dieu ! à ton nom, donne moy
Qu’entre tant de martyrs, champions de la foy,
De chasque sexe, estat ou aage, à ton sainct temple
Je puisse consacrer un tableau pour exemple.
Dormant sur tel dessein, en mon esprit ravi
J’eus un songe au matin, parmi lequel je vi
Ma conscience en face, ou au moins son image,
Elle me prend la main en disant : « Mais comment
De tant de dons de Dieu ton foible entendement
Veut-il faire le choix ? oses-tu bien eslire
Quelques martyrs choisis, leur triomphe descrire < ? » >
[…]
Dieu voulut en voir plus, mais de regret et d’ire
Tout son sang escuma : il fuit, il se retire,
Met ses mains au devant de ses yeux en courroux.
Le Tout-Puissant ne peut resider entre nous.
Sa barbe et ses cheveux de fureur herisserent,
Les sourcils de son front en rides s’enfoncerent,
Ses yeux changés en feu jetterent pleurs amers,
Son sein enflé de vent vomissoit des esclairs.
Il se repentit donc d’avoir formé la terre.
Tantost il prist au poing une masse de guerre,
Une boete de peste et de famine un vent,
Il veut mesler la mer et l’air en un moment
Pour faire encor un coup, en une arche reclose,
L’eslection des siens […].
33
L. VII
Jugement
(v. 373-94, 661-84, 987-1000, 1013-22, 1209-18)
L’air, qui prend de nouveau tousjours de nouveaux corps,
Pour loger les derniers met les premiers dehors ;
Le feu, la terre et l’eau en font de mesme sorte.
Le despart esloigné de la matiere morte
Fait son rond et retourne encore en mesme lieu,
Et ce tour sent toujours la presence de Dieu.
Ainsi le changement ne sera la fin nostre,
Il nous change en nous mesme et non point en un autre,
Il cerche son estat, fin de son action :
C’est au second repos qu’est la perfection.
Les elements, muans en leurs regles et sortes,
Rappellent sans cesser les creatures mortes
En nouveaux changemens : le but et le plaisir
N’est pas là, car changer est signe de desir.
Mais quand le ciel aura achevé la mesure,
Le rond de tous ses ronds, la parfaicte figure,
Lors que son encyclie aura parfait son cours
Et ses membres unis pour la fin de ses tours,
Rien ne s’engendrera : le temps, qui tout consomme,
En l’homme amenera ce qui fut fait pour l’homme ;
Lors la matiere aura son repos, son plaisir,
La fin du mouvement et la fin du desir.
[…]
Mais quoy ! C’est trop chanté, il faut tourner les yeux
Esblouis de rayons dans le chemin des cieux.
C’est fait, Dieu vient regner, de toute prophetie
Se void la periode à ce poinct accomplie.
La terre ouvre son sein, du ventre des tombeaux
Naissent des enterrés les visages nouveaux :
Du pré, du bois, du champ, presque de toutes places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Ici les fondemens des chasteaux rehaussés
Par les ressuscitans promptement sont percés ;
Ici un arbre sent des bras de sa racine
Grouïller un chef vivant, sortir une poictrine ;
Là l’eau trouble bouillonne, et puis s’esparpillant
Sent en soy des cheveux et un chef s’esveillant.
Comme un nageur venant du profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l’on sort d’un songe.
Les corps par les tyrans autresfois deschirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu’un bras ait vogué par la mer escumeuse
De l’Afrique bruslée en Tylé froiduleuse.
Les cendres des bruslés volent de toutes parts ;
Les brins plustost unis qu’ils ne furent espars
Viennent à leur posteau, en cette heureuse place,
Rians au ciel riant d’une agreable audace.
[…]
Qui vous consolera ? l’ami qui se désole
Vous grincera les dents au lieu de la parole.
Les Saincts vous aimoyent-ils ? un abysme est entr’eux ;
Leur chair ne s’esmeut plus, vous estes odieux.
Mais n’esperez-vous point fin à vostre souffrance ?
Point n’esclaire aux enfers l’aube de l’esperance.
Dieu auroit-il sans fin esloigné sa merci ?
Qui a peché sans fin souffre sans fin aussi ;
La clemence de Dieu fait au ciel son office,
Il desploye aux enfers son ire et sa justice.
Mais le feu ensouffré, si grand, si violent,
Ne destruira-il pas les corps en les bruslant ?
Non : Dieu les gardera entiers à sa vengeance,
Conservant à cela et l’etoffe et l’essence ;
[…]
Que la mort, direz-vous, estoit un doux plaisir !
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous precipitez ? en vain le precipice.
Courez au feu brusler : le feu vous gelera ;
Noyez vous : l’eau est feu, l’eau vous embrasera.
La peste n’aura plus de vous misericorde.
Estranglez vous : en vain vous tordez une corde.
Criez aprés l’enfer : de l’enfer il ne sort
Que l’eternelle soif de l’impossible mort.
[…]
Chetif, je ne puis plus approcher de mon œil
L’œil du ciel ; je ne puis supporter le soleil.
Encor tout esblouï, en raisons je me fonde
Pour de mon ame voir la grand’ ame du monde,
Sçavoir ce qu’on ne sçait et qu’on ne peut sçavoir,
Ce que n’a ouï l’oreille et que l’œil n’a peu voir ;
Mes sens n’ont plus de sens, l’esprit de moy s’envole,
Le cœur ravi se taist, ma bouche est sans parole :
Tout meurt, l’ame s’enfuit, et reprenant son lieu
Exstatique se pasme au giron de son Dieu.
34
le premier jour
(v. 143-54, 163-78, 223-74 : pp. 24-25, 25, 26-28)
Le monde est un nuage, à travers qui rayone,
Non le fils tire-traits de la belle Latone,
Ains ce divin Phoebus, dont le visage luict
A travers l’espesseur de la plus noire nuict.
Le monde est un theatre, où de Dieu la puissance,
La justice, l’amour, le sçavoir, la prudence,
Jouent leur personnage, et comme à qui mieux mieux,
Les esprits plus pesans ravissent sur les cieux.
Le monde est un grant livre, où du souverain maistre
L’admirable artifice on list en grosse lettre.
Chasque œuvre est une page, et chasque sien effect
Est un beau charactere en tous ses traits parfaict.
[…]
Pour lire là dedans il ne nous faut entendre
Cent sortes de jargons, il ne nous faut apprendre
Les characteres turcs, de Memphe les pourtraits,
Ny les points des Hebrieux, ny les notes des Grecs.
L’Antarctique brutal, le vagabond Tartare,
L’Alarbe plus cruel, le Scythe plus barbare,
L’enfant qui n’a sept ans, le chassieux vieillard,
Y lit passablement, bien que despourveu d’art.
Mais celuy qui la Foy reçoit pour ses lunettes,
Passe de part en part les cercles des planettes,
Comprend le grand Moteur de tous ces mouvemens,
Et lit bien plus courant dans ces vieux documens.
Ainsi donc, esclairé par la Foy, je desire
Les textes plus sacrez de ces panchartes lire.
Et depuis son enfance, en ses aages divers,
Pour mieux contempler Dieu, contempler l’univers.
[…]
Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé
Où tous les elemens se logeoient pesle-mesle,
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaut,
L’amer avec le doux : brief, durant ceste guerre
La terre estoit au ciel, et le ciel en la terre.
La terre, l’air, le feu se tenoient dans la mer ;
La mer, le feu, la terre estoient logez dans l’air ;
L’air, la mer, et le feu dans la terre ; et la terre
Chez l’air, le feu, la mer. Car l’Archer du tonnerre,
Grand Mareschal de camp, n’avait encor donné
Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
De grand’s touffes de feu ; les plaines esmaillees
N’espandoient leurs odeurs ; les bandes escaillees
N’entrefendoient les flots ; des oyseaux les souspirs
N’estoient encor portez sur l’aile des zephyrs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flame ;
Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame.
Le feu n’estoit point feu, la mer n’estoit point mer,
La terre n’estoit terre, et l’air n’estoit point air.
Ou, si jà se pouvoit trouver en un tel monde
Le corps de l’air, du feu, de la terre et de l’onde,
L’air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
Sans fermeté la terre, et l’onde sans froideur.
Bref, forge en ton esprit une terre, qui, vaine,
Soit sans herbe, sans bois, sans mont, sans val, sans plaine,
Un ciel non azuré, non clair, non transparant,
Non marqueté du feu, non vousté, non errant,
Et lors tu concevras quelle estoit ceste terre,
Et quel le ciel encor, où regnoit tant de guerre.
Terre, et ciel, que je ne puis chanter d’un stile bas,
Non point tels qu’ils estoyent, mais tels qu’ils n’estoient pas.
Ce n’estoit donc le monde, ains l’unique matiere
Dont il devoit sortir, la riche pepiniere
Des Beautez de ce Tout, l’embryon qui devoit
Se former en six jours en l’estat qu’on le void.
Et de vray ce monceau confusement enorme
Estoit tel que la chair qui s’engendre, difforme,
Au ventre maternel, et par temps toutesfois
Se change en front, en yeux, en nez, en bouche, en doigts,
Prend icy forme longue, icy large, icy ronde,
Et de soy peu à peu fait naistre un petit monde.
Mais cestuy par le cours de nature se fait
De laid beau, de mort vif, et parfait d’imparfait ;
Et le monde jamais n’eust changé de visage,
Si du grand Dieu sans pair le tout-puissant langage
N’eust comme syringué dedans ses membres morts
Je ne sais quel esprit qui meut tout ce grand corps.
35
le sixiesme jour
(v. 470-79, 967-86 : p. 164-65, 176-77)
Mais pour créer Adam à soy-mesme il commande.
Dieu forma tout d’un coup et le corps et l’esprit
Des autres animaux ; mais quand il entreprit
Joindre en nous la mortelle et l’immortelle essence,
Sçachant bien que c’estoit un fait de consequence,
Il s’aida d’un delay, et par momens divers
Forma l’ame et le corps du chef de l’univers.
Architecte divin, Ouvrier plus qu’admirable,
Qui, parfait, ne voids rien que toy à toy semblable,
Sur ce rude tableau guide ma lourde main,
[…]
Le Tout-puissant ternit de notre ayeul la face,
Verse dedans ses os une mortelle glace,
Sille ses yeux ardans d’un froid bandeau de fer,
Guide presque ses pieds jusqu’au sueil de l’enfer ;
Bref, si bien engourdit et son corps et son ame,
Que sa chair sans douleur par ses flancs il entame,
Qu’il en tire une coste, et va d’elle formant
La mere des humains, gravant si dextrement
Tous les beaux traits d’Adam en la coste animee ;
Qu’on ne peut discerner l’amant d’avec l’aimee.
Bien est vray toutesfois qu’elle a l’œil plus riant,
Le teint plus delicat, le front plus attrayant,
Le menton net de poil, la parole moins forte,
Et que deux monts d’yvoire en son sein elle porte.
Or apres la douceur d’un si profond sommeil,
L’homme unique n’a point si tost jetté son œil
Sur les rares beautez de sa moitié nouvelle,
Qu’il la baise, l’embrasse, et haut et cler l’appelle
Sa vie, son amour, son appuy, son repos,
Et la chair de sa chair, et les os de ses os.
36
le septiesme jour
(v. 1-12, 419-20, 441-52, 713-16 : p. 181, 191, 192, 198)
Le peintre, qui, tirant un divers paysage,
A mis en œuvre l’art, la nature, et l’usage,
Et qui d’un las pinceau sur si docte pourtrait
A pour s’eternizer donné le dernier traict,
Oublie ses travaux, rit d’aise en son courage,
Et tient tousjours ses yeux collez sur son ouvrage.
Il regarde tantost par un pré sauteler
Un agneau qui tousjours muet semble besler.
Il contemple tantost les arbres d’un bocage,
Ore le ventre creux d’une grotte sauvage,
Ore un petit sentier, ore un chemin batu,
Ore un pin baise-nue, ore un chesne abatu.
[…]
Sied-toy donc, o lecteur, sied-toy donc pres de moy,
Discours en mes discours, voy tout ce que je voy,
Oy ce docteur muet, estudie en ce livre,
Qui nuyct et jour ouvert t’aprendra de bien vivre.
Car depuis les clous d’or du vaste firmament
Jusqu’au centre profond du plus bas element,
Chose tu ne verras, tant petite soit-elle,
Qui n’enseigne aux plus lourds quelque leçon nouvelle.
Vois-tu pas ces brandons qu’à tort on nomme errans ?
L’un court ça, l’autre là, par sentiers differens,
Et toutesfois sans fin leur route suit la route
Du ciel premier moteur, qui tout clost de sa vouste ;
[…]
Sus donc, Muses, à bord : jettons, o chere bande,
L’ancre arreste-navire ; attachons la commande.
Icy jà tout nous rit, icy nul vent ne bat ;
Puis c’est assez vogué pour le jour du Sabbat.
37
CONSOLATION à MONSIEUR DU PéRIER
Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
L’augmenteront toujours ?
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retreuve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin :
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Puis quand ainsi serait, que selon ta prière
Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu’en fût-il advenu ?
Penses-tu que plus vieille en la maison céleste,
Elle eût eu plus d’accueil ?
Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste,
Et les vers du cercueil ?
Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la barque
Et ne suit point les morts.
Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale :
Et Pluton aujourd’hui,
Sans égard du passé les mérites égale
D’Archémore et de lui.
Ne te lasse donc plus d’inutiles complaintes :
Mais sage à l’avenir,
Aime une ombre comme ombre, et de cendres éteintes
éteins le souvenir.
C’est bien, je le confesse, une juste coutume,
Que le cœur affligé
Par le canal des yeux vuidant son amertume
Cherche d’être allégé.
Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que Nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’ame d’un Barbare,
Ou n’en a du tout point.
Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui ?
Priam qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support,
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut du réconfort.
François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son Dauphin,
Sembla d’un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n’eussent point de fin.
Il les sécha pourtant, et comme un autre Achille
Contre fortune instruit,
Fit qu’à ses ennemis d’un acte si perfide
La honte fut le fruit.
Leur camp qui la Durance avait presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance eut peur de sa furie,
Et demanda la paix.
De moi déjà deux fois d’une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m’a si bien fait résoudre,
Qu’il ne m’en souvient plus.
Non, qu’il ne me soit grief que la tombe possède
Ce qui me fut si cher :
Mais en un accident qui n’a point de remède
Il n’en faut point chercher.
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier,
La cruelle qu’elle est, se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.
Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois :
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N’en défend point nos rois.
De murmurer contre elle, et perdre patience,
Il est mal à propos :
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science,
Qui nous met en repos.
NOTA BIBLIOGRAFICA
Abbiamo quasi sempre seguito il testo delle edizioni della “Bibliothèque de la Pléiade”, Gallimard, Paris; vengono di conseguenza indicati soltanto i casi in cui si è seguita una edizione diversa:
– Poètes du XVIe siècle, 1953, par A.-M. Schmidt (ed. seguita per Delie di Maurice Scève, per Joachim du Bellay, Jacques Grévin e Jean de Sponde);
– Maurice Scève, Microcosme, par E. Giudici, Garigliano – Vrin, Cassino – Paris;
– Ronsard, Œuvres complètes, I-II, 1993-94, par J. Céard – D. Ménager – M. Simonin;
– Agrippa d’Aubigné, Œuvres, 1969, par H. Weber – J. Bailbé – M. Soulié;
– Guillaume de Salluste du Bartas, La Sepmaine ou Creation du Monde, Actes Sud, 1988, par V. Bol;
– Malherbe, Œuvres, 1971, par A. Adam.
INDICE
p. brano autore titolo dell’opera
1-14 1-14 Scève Delie
15-20 15-17 Scève Microcosme
21 18 Bellay Les Regrets
22 19 Bellay Les Antiquitez de Rome
23-24 20-21 Bellay Songe
25 22 Ronsard Le Second Livre des Amours
26 23 Ronsard Les Odes
27 24 Ronsard Le Second Livre des Sonnets pour Hélène
28 25 Ronsard Le Second Livre des Amours. II
29 26 Ronsard Les Derniers Vers
30-32 27-29 Sponde Essay de quelques poemes chrestiens
33 30 Grévin Sonets de la Gelodacrye
34 31 Sponde Essay de quelques poemes chrestiens
35-39 32-33 d’Aubigné Les Tragiques
40-46 34-36 du Bartas La Sepmaine
47-49 37 Malherbe (Recueil des plus beaux vers)